mardi 27 mai 2008

Coup De Chance

C'est dingue comme les distances peuvent s'étendre comme du chewing-gum quand on les parcoure à pied & non en voiture.
Le goudron me colle aux pieds, les lanières déchirent ma peau toute dorée, je n'en peux plus, & les voitures, mince, les voitures passent, passent, passent, elles vont toutes vers le vieux pont, elles fuient la nature, elles roulent vers un avenir meilleur.

Je crois pas que je crois en l'avenir.
Tout à l'heure, devant le tabac fermé, j'ai éclaté en sanglots. J'ai fixement regardé les horaires, j'ai mis ma main dans la poussière de la vitre, & puis je me suis laissée glisser sur la surface de la porte, j'ai taché ma jolie robe du gris de cette infecte poussière, j'ai pris ma tête entre mes mains, passé mes doigts dans le poisseux de mes cheveux tout collants, & j'ai attendu trés longtemps sans respirer.

"Putain Tim, j'ai mal."
"T'as mal ?"
"Putain ouais, j'ai mal, j'ai trop mal au ventre & à la tête, ça me brûle le ventre Tim !"
"Mais non, c'est une blague."
"Ah ouais ?"
"Ouais, rien qu'une blague."
"Bon bah ça va alors."

J'ai quand même continuer à marcher. Je voulais les clopes. Je veux ce fichu paquet, je sent le froissement du billet de cinq coincé dans l'élastique de ma culotte, ma robe est toute trempée, ce n'est pas très agréable.
Plus j'avance & plus les lanières me déchire, voila que je claudique, claudique vers le vieux pont.
La ville elle est encore loin du vieux pont, mais les voitures elles s'en foutent, elles avancent très vite, si elles voulaient elles pourraient faire le tour de tous les tabacs de la ville et elles pourraient ramener toutes les cigarettes dont j'aurais besoin, mais elles le font pas.

Elles s'arrêtent pas.
Le vieux pont, un jour il tombera, mais j'espere que ca sera pas quand je serais dessus. Pour avancer plus vite je contemple fixement le bout de mes doigts de pieds, j'ai mis du vernis à ongles rouge, il s'écaille, ça reste tout de même vachement joli.
Enfin le tabac apparait. Pitié pourvu qu'il soit pas fermé, parce que c'est le dernier avant la ville, avant le vieux pont.

"Un jour on va le retrouver en dessous du pont, à se peler comme un sale parasite, avec son vieux banjo, & il moisira dans sa merde, la merde de tous ces putains d'habitants de cette putain de ville."
"Pourquoi vous-êtes aussi dur avec lui ?"
"Parce que personne a été tendre avec moi, y'a que comme ça qu'on s'endurcit, si ce petit con croit que c'est en degueulant dans les bégonias qu'il va empecher les guerres, je ferais rien pour l'aider."
"Fallait réfléchir deux fois avant de vous faire la mère."
"..."

Je rentre & c'est un grand coup d'air frais qui me prend. Je voudrait me blottir dans le courant d'air & ne plus jamais m'en déloger. J'ai si mal aux pieds. Ils sont en sang. C'est Tim qui ne va pas être contente, mes sandales sont comme ma jolie robe, toutes neuves & déja toutes usées. . .
Au comptoir il y a un homme avec une casquette & derrière une jolie femme aux cheveux décolorées.
Je vais vers elle & lui demande un paquet, récite la marque sans bafouiller & pose le billet en évidence sur le comptoir.
Elle me regarde d'un air méfiant mais je dois avoir l'air très épuisée, parce que finalement je lui fais pitié & elle décide d'oublier que j'ai juste l'air d'une fille de huit ans, ce qui n'est pas totalement dénué de bon sens, parce que j'ai huit ans et demi.

"Mélaine, putain, revines, ici c'est horrible, je fais n'importe quoi, bientôt ma vie sans toi ça sera ma vie sans Moi !"
"Je veux plus jamais refoutre les pieds dans ce patelin. Je veux plus jamais les revoir."
"& la gosse ?"
" Tu te demmerdes. Prend exemple sur ton père."
"Pour ce que ça à réussi !"
"Ca, c'est votre problème."
Tut tut tut . . .



Il fait nuit désormais. Tim aura ses cigarettes. Je n'ai pas franchi la limite du vieux pont, je l'ai pas fait. J'ai pas mal. J'ai plus mal, en fait c'est tellement souvent que ça devient comme si ça faisait pas mal.
Je vais rentrer avec la lune, les voitures ne me remarqueront même pas, ma robe est noire, Tim est là ma mère est loin le sang sur les pieds commence à sécher.

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